Le 13 mars 1910, une foule de 1350 excursionnistes envahit la gare Saint Charles de Marseille pour se rendre à Cassis en train.
Plus tôt dans la matinée, un vapeur quitte la société nautique de Marseille sur le vieux port pour rallier Cassis avec à son bord de nombreux excursionnistes, plaisanciers rejoints par des marcheurs partis aux aurores du quartier du Redon.
Tous viennent participer en nombre à la grande journée de mobilisation contre l’exploitation de la carrière Solvay et pour protéger Port-Miou. Les manifestants se regroupent autour du Capoulié du Félibrige, Valère Bernard et d’autres poètes clamant des vers contre l’industrialisation et le saccage du site, comme rapporté dans « Le Sémaphore de Marseille », le 14 mars 1910.
« Que pèr cafi lei pocho en quauquei gros catau,
Destrus l’obro de naturo
L’obro de Dièu que nous empuro,
L’aubre, lei flour et la verduro
Benuranço dou paure en un monde brutau »
« Qui pour remplir les poches de quelques gros richards
Détruit l’œuvre de la nature
L’œuvre de Dieu qui nous enflamme
L’arbre, les fleurs et la verdure
Félicité du pauvre dans un monde brutal »
Frédéric Mistral lui même, lauréat du prix Nobel de littérature en 1904, est vent debout contre l’extension de la carrière représentant « la poussée des intérêts industriels ». En 1867, il a dédié son long poème Calendal à Cassis où « la beauté du pays est le patrimoine de tous ses habitants ».
« Vers lou boucau de nostro rado,
I’ a’ no calanco retirado
Que ié dison Pormiéu : l’intrado
Fai orre, entre de baus rouiga per lou charpin
De la marino, que s’enfourno,
En s’esbroufant, dins si cafourno.
Se ressarron li baus tout-d’un-cop, e cresés
Que l’aspro gorgo aqui s’assouide…
Noun… tout-d’un-cop fai un recouide,
E, clar et blu, descato un ouide
Que s’estremo e s’alongo, alin tant que vesès »
« Vers l’embouchure de notre rade
Est une crique retirée
Que l’on nomme Pormieu : l’entrée
En est horrible, au milieu d’escarpement rongés par la gratelle
De la mer qui s’engouffre/Avec des ébrouements dans les anfractuosités
Les falaises se resserrent tout à coup et vous croyez/Que l’âpre gorge finit là…
Non ! Tout à coup elle se coude/Et claire et bleue découvre une tranchée
Qui, à perte de vue, s’enferme et se prolonge »
(Traduction de Mistral, Calendal, Chant V, vers 39-49).
Solvay sentant le vent de l’histoire tourner, décide de faire fissurer le front de l’opposition. Après avoir rencontré les représentants des commerçants, les représentants de la multinationale négocient un accord avec les pêcheurs, dont l’activité est sensiblement perturbée par les tirs de mines.
Solvay s’engage à réduire les projections de pierre, à remettre en état la plagette mitoyenne du château pour le tirage à terre des barques, à construire un quai sur la rive opposée et une cabane pour les pêcheurs et surtout à indemniser les dégâts occasionnés aux engins de pêche et à octroyer une subvention importante au syndicat…aucun pêcheur ni aucun habitant de Cassis ne participera à la manifestation du 13 mars 1910.
En 1922 ce sont les Calanques de Port-Pin et d’En Vau qui sont menacées à leur tour. Les excursionnistes toulonnais mènent la fronde et militent pour le classement des deux Calanques qui le seront en 1936.